dimanche 23 septembre 2007

Raymond Queneau, Exercices de styles

Philosophique 
Les grandes villes seules peuvent présenter à la spiritualité phénoménologique les essentialités des coïncidences temporelles et improbabilistes. Le philosophe qui monte parfois dans l'inexistentialité futile et outilitaire d'un autobus S y peut apercevoir avec la lucidité de son oeil pinéal les apparences fugitives et décolorées d'une concsience profane affligée du long cou de la vanité et de la tresse chapeautière de l'ignorance. Cette entière matière sans entéléchie véritable se lance parfois dans l'impératif catégorique de son élan vital et récriminatoire contre l'irréalité néoberkeleyienne d'un mécanisme corporel inalourdi de concsience. Cette attitude morale entraîne alors le plus inconscient des deux verts une spiritualité vide où il se décompose en ses éléments premiers et crochus.
Ensembliste
Dans l'autobus S considérons l'ensemble A des voyageurs assis et l'ensemble D des voyageurs debout. A un certain arrêt, se trouve l'ensemble P des personnes qui attendent. Soit C l'ensemble des voyageurs qui montent ; c'est un sous-ensemble de P et il est lui-même l'union de C' l'ensemble des voyageurs qui restent sur la plate-forme et de C'' l'ensemble de ceux qui vont s'asseoir. Démontrer que l'ensemble C'' est vide. Z étant l'ensemble des zazous et {z} l'intersection de Z et de C', réduite à un seul élément. A la suite de la surjection des pieds de z sur ceux de y (élément quelquonque de C' différent de z), il se produit un ensemble M de mots prononcés par l'élément z. L'ensemble C'' étant devenu non vide, démontrer qu'il se compose de l'unique élément z. Soit maintenant P l'ensemble des piétons se trouvant devant la gare Saint-Lazare, {z}, {z'} l'intersection de Z et de P, B l'ensemble des boutons du pardessus de z, B' l'ensemble des emplacements possibles desdits boutons selon z', démontrer que l'injection de B dans B' n'est pas une bijection.
Antonymique
Minuit. Il pleut. Les autobus passent presque vides. Sur le capot d'un AI du côté de la Bastille, un vieillard qui a la tête rentrée dans les épaules et ne porte pas de chapeau remercie une dame placée très loin de lui parce qu'elle lui caresse les mains. puis il va se mettre debout sur les genoux d'un monsieur qui occupe toujours sa place. Deux heure plus tôt, derrière la gare de Lyon, ce vieillard se bouchait les oreilles pour ne pas entendre un clochard qui se refusait à dire qu'il lui fallait descendre d'un cran le bouton inférieur de son calçon.
Paysan
J'avions pas de ptits bouts de papiers avec un numéro dssus, mais jsommes tout de même monté dans steu carriole. Une fois que j'm'y trouvons sus steu plattforme de steu carriole qui z'appellent comm' ça eux zautres un autobus, jeum'sentons tout serré, tout gueurdi et tout racornissou. Enfin après qu'j'euyons paillé, je j'tons un coup d'oeil tout alentour de nott peursonne et qu'est-ceu queu jeu voyons-ti pas ? un grand flandrin avec un d'ces cous et un d'ces ciyv-la-tête pas ordinaires. Le cou, l'était trop long. L'chapiau, l'avait dla tresse autour, dame oui. Et pis, tout à coup, le voilà-ti pas qui s'met en colère ? Il a dit des paroles de la plus grande méchanceté à un pauv' meussieu qu'en pouvait mais et pis après ça l'est allé s'asseoir, le grand flandrin. Bin, c'est des choses qu'arivent comme ça que dans une grande ville. Vous vous figurerez-vous-ti pas qu' l'avons dnouveau rvu, ce grand flandrin. Pas plus tard que deux heures après, dvant une grande bâtisse qui pouvait ben être queuqu'chose comme le palais de l'êveque de Pantruche, comme i disent eux zautres pour appeler leur ville par son pti nom. L'était là lgrand flandrin, qu'i sbaladait dlong en large avec un autt feignant don espèce et qu'est-ce qu'i lui disait l'autt feignant de son espèce ? Li disait, l'autt feignant de son espèce, l'i disait : "Tu dvrais tfaire mett sbouton-là un ti peu plus haut, ça srait ben pluss chouette." Voilà cqu'i lui disait au grand flandrin, l'autt feignant de son espèce.


d'après Maurice Ravel