samedi 28 juillet 2007

Macha Makeïett, "L'Amour des choses" exposition au Théâtre national de Chaillot























Les choses sont bien plus que des objets, elles nous contiennent, en ce qu'elles représentent toujours du vivant par de l'innerte.
Macha Makeïett

mardi 24 juillet 2007

Boris Vian, Petits Spectacles

PARIS A LA RUSSE


DECOR : Bois, rivière méandreuse, petite baraque où l'on vend des souvenirs et notamment des Tours Eiffel en bronze rouge "Au Souvenir de Lusteski". une vendeuse y est installée. Entrerons les druides.



1er DRUIDE

Ah! Enfin un endroit tranquille.


2eme DRUIDE


Y a-t-il des chênes dans le coin?


1er DRUIDE


Attends. On va demander. (Il s'approche de la baraque.) Pardon, excusez-moi... Il y a des chênes aux environs?


VENDEUSE


Des chênes? Pourquoi faire, d'abord?


2eme DRUIDE


Eh ben... heu... C'est pour le gui, quoi...


VENDEUSE


Le gui? Kekçekça?


1er DRUIDE


Notre matière première. On est druides.


VENDEUSE


Vous vous moquez de moi?


2eme DRUIDE


On n'oserait pas.


VENDEUSE


Enfin qu'est ce que vous faites avec votre gui?


1er DRUIDE


On le coupe.


2eme DRUIDE


Et on cri "Au gui l'an neuf".


VENDEUSE


Et ça vous amuse! (Elle les regarde avec le plus profond mépris.) Vous avez du temps à perdre pour vos distractions bourgeoises. (Elle se reprend, ça lui échappe.) Pardon!


1er DRUIDE


Bourgeoises?


2eme DRUIDE


Nos distractions bourgeoises?


1er DRUIDE


Kharacho! Et avec quoi crois-tu qu'on le coupe, le gui, petite mère?


2eme DRUIDE (brandit une faucille)


Est-ce que ça a l'air d'un instrument bourgeois, ça?


VENDEUSE


Le signe de reconnaissance! Excusez-moi, camarades, j'ai parlé trop vite! (Elle montre un marteau). Voilà le signe!


1er DRUIDE


Ah! Je pensais bien que c'était toi, Nastasia Ivanovna. Bois un coup de vodka avec nous, babouchka. (Ils l'embrassent.)


VENDEUSE


Je ne peux pas, camarades, ça va faire baisser mon rendement.


2eme DRUIDE (avec respect)


Tu es stakhanoviste?


VENDEUSE


Oui, camarade.


1er DRUIDE (baisse la voix)


Écoute... Il n'y a personne?


VENDEUSE


Non...


1er DRUIDE


Alors je peux retirer cette défroque capitaliste... (Il la retire et apparaît en tenue de russe avec étoiles et bottes et marteau.) Sergueï Pariskoff, de l'armée secrète du travail de la Sainte Russie...




2eme DRUIDE (même jeu)

Andréï Popoff, druide de choc...


1er DRUIDE


On s'est camouflés en druides, pour circuler sans encombre parmi les Gaulois avec nos faucilles...


VENDEUSE


C'était inutile... J'ai déjà noyauté le coin... On peut travailler.





René Decrion, Portrait de Julien Decrion




1er DRUIDE


C'est bien, Nastasia. Le génial Pères des Peuples sera content de toi. (Il examine l'étalage et regarde une tour Eiffel peinte en rouge.) Qu'est-ce que c'est que ça, camarade?


VENDEUSE


Les Gaulois adorent ça... C'est une statuette magique que j'ai inventée. Ils les préféraient dorées, mais maintenant je les peins en rouge. Mais que puis-je faire pour vous?


2eme DRUIDE


As-tu convoqué l'huissier?


VENDEUSE

Il doit arriver (elle regarde son sablier) dans cent grammes de sable.


1er DRUIDE


Alors préparons les choses. Tu as la pierre, Andreï ?


2eme DRUIDE


Oui, Sergueï (Il la lui tend.)


1er DRUIDE


La truelle?
(Même jeu)

VENDEUSE

L'huissier arrive. (Entrent l'huissier et son secrétaire, vêtus en Gaulois.)

HUISSIER
Bonjour, messieurs.

1er DRUIDE

Note, vieillard.

HUISSIER

Écris ce que je te dis, Albert...


1er DRUIDE

Nous, Sergueï Pariskoff et Andreï Stalinko, travailleurs de choc de la Grande Russie, déclarons avoir fondé, avant tout le monde, la ville de Paris ; ceci a été constaté par Maître Léon, huissier assermenté...

2eme DRUIDE (pose la pierre)

Le ciment, Sergueï

1er DRUIDE

Voilà, Andreï. Fait à Paris, 1er janvier de l'an de grâce 1990 avant Staline. Vous avez noté ?

HUISSIER


Tu as noté, Albert ?

ALBERT

Oui, maître.


2eme DRUIDE


Voilà une bonne chose de faite, Kharacho! Donne copie!

HUISSIER


Voilà!



1er DRUIDE


Au moins, comme ça, il n'y aura pas de contestation. (Il relit et empoche l'acte.) Merci, camarade huissier...


HUISSIER


Au revoir, messieurs... (Ils revêtent leurs robes de druides et s'en vont.)

DRUIDES

Au revoir, babouchka! Au revoir!

HUISSIER
Paris! Moi qui ai rêvé de ça toute ma vie! Et m'y voilà enfin!... Grâce au camarade Popoff... (Musique, la lumière baisse - l'hymne russe retentit.)
(L'huissier se met à valser sur "Pigalle" et sort en tournant.)



vendredi 6 juillet 2007

Abbé Dinouart, L' Art de se taire


Le premier degré de la sagesse est de savoir se taire ; le second de savoir parler peu, et de se modérer dans le discours ; le troisième est de savoir beaucoup parler, sans parler mal et sans trop parler.



Canova, Le Baiser

CHAPITRE PREMIER

Principes nécessaires pour se taire





I. On ne doit cesser de se taire, que quand on a quelque chose à dire qui vaut mieux que le silence.
II. Il y a un temps pour se taire, comme il y a un temps pour parler.
III. Le temps de se taire doit être le premier dans l'ordre ; et on ne sait jamais bien parler, qu'on ait appris auparavant à se taire.
IV. Il n'y a pas moins de faiblesse, ou d'imprudence à se taire, quand on est obligé de parler , qu'il y a de légèreté et d'indiscrétion à parler, quand on doit se taire.
V. Il est certain qu'à prendre les choses en général, on risque moins à se taire qu'à parler.
VI. Jamais l'homme ne se possède plus que dans le silence : hors de là, il semblese répandre, pour ainsi dire, hors de lui-même, et se dissiper par le discours, de sorte qu'il est moins à soi qu'aux autres.
X. Le silence tient quelquefois lieu de sagesse à un homme borné, et de capacité à un ignorant.




D'après Le Baiser de Canova


CHAPITRE II

Différentes espèces de silence


Il est un silence prudent, et un silence artificieux. Un silence complaisant, et un silence moqueur. Un silence spirituel, et un silence stupide. Un silence d'approbation, et un silence de mépris. Un silence de politique. Un silence d'humeur et de caprice.

V. C'est un silence spirituel, quand on aperçoit sur le visage d'une personne qui ne dit rien, un certain air ouvert, agréable, animé, et propre à faire comprendre, sans secours de la parole, les sentiments qu'on veut laisser connaître.
VI. C'est au contraire un silence stupide, lorsque la langue étant immobile, l'esprit insensible, tout l'homme paraît être abîmé dans une profonde taciturnité qui ne signifie rien.