mercredi 27 juin 2007

Martin Niemöller, poème

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They first came for the Communists, and I didn't speak up because I wasn't a Communist.
Then they came for the Jews, and I didn't speak up because I wasn't a Jews.
Then they came for the trade unionists, and I didn't speak up because I wasn't a trade unionists.
Then they came for the Catholics, and I didn't speak up because I was a Protestant.
Then they came for me and by that time no one was left to speak up.

mardi 26 juin 2007

Jacques Brel, Ballade


Je voudrais un joli avion pour voir le Bon Dieu.




photo Jérome Zambelli

mardi 12 juin 2007

Anna Gavalda, Je l'aimais

J'avais envie d'un cigarette. C'était idiot, je ne fumais plus depuis des années. Oui mais voilà, c'est comme ça la vie... Vous faites preuve d'une volonté formidable et puis un matin d'hiver , vous décidez de marcher quatre kilomètres dans le froid pour racheter un paquet de cigarette ou alors, vous aimez un homme, avec lui vous fabriquez deux enfants et un matin d'hiver, vous apprenez qu'il s'en va parce qu'il en aime une autre. Ajoute qu'il est confus, qu'il s'est trompé.

Comme au téléphone : "Excusez-moi, c'est une erreur."


Mais je vous en prie ...



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Le soir, je suis allé dîner au Drugstore. Je souffrais. [...] Je me souviens que j'avais dessiner deux silhouettes sur la nappe en papier. La silhouette de gauche, c'était elle de face et celle de droite, elle de dos. Je cherchais à me souvenir de l'emplacement exact de ces grains de beauté et quand le garçon s'est approché et qu'il a vu tous ces petits points, il m'a demandé si j'étais acuponcteur.

Anna Gavalda, Je l'aimais

vendredi 8 juin 2007

Romain Gary, La Promesse de l'aube

[...] je dois dire que, dans cet univers entièrement louable qu'était pour ma mère la France, tout était uni dans la même approbation et, mettant tranquillement dans le même panier la tête de Marie-Antoinette et celle de Robespierre, Charlotte Corday et Marat, Napoléon et le duc d'Enghien, elle me présentait le tout avec un sourire heureux. Je mis longtemps a me débarrasser de ces images d'Epinal et à choisir entre les cent visages de la France celui qui me paraissait le plus digne d'être aimé; ce refus de discriminer, cette absence, chez moi, de haine, de colère, de rancune, de souvenir, ont pendant longtemps été ce qu'il y avait en moi de plus typiquement non français.


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[...]L'humour a été pour moi, tout le long du chemin, un fraternel compagnonnage; je lui doit mes seuls instants véritables de triomphe sur l'adversité. Personne n'est jamais parvenu à m'arracher cette arme, et je la retourne d'autant plus volontiers contre moi-même, qu'à travers le "je" et le "moi", c'est à notre condition profonde que j'en ai. L'humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive. Certains de mes "amis", qui en sont totalement dépourvus, s'attristent de me voir, dans mes écrits, tourner contre moi-même cette arme essentielle; ils parlent, ces renseignés, de masochisme, de haine de soi-même, ou même, lorsque je mêle à ces jeux libérateurs ceux qui me sont proches, d'exhibitionnisme et de muflerie. Je les plains. La 
réalité est que "je" n'existe pas, que le "moi" n'est jamais visé, mais seulement franchi, lorsque je tourne contre lui mon arme préférée; c'est à la situation humaine que je m'en prends, à travers toutes ces incarnations éphémères, c'est à une condition qui nous fut imposée de l'extérieur, à une loi qui nous fut dictée par les forces obscures comme une quelconque loi de Nuremberg. Dans les rapports humains, ce malentendu fut pour moi une source constante de solitude, car, rien ne vous isole plus que de tendre la main fraternelle de l'humour à ceux qui, à cet égard, sont plus manchots que les pingouins.




Autoportrait




[durant 39-45]...Je demeurai un moment encore sur le pont, essayant de me calmer, ou peut-être cherchant l'adversaire. Mais l'adversaire ne se montrait pas. Il n'y avait que des Allemands. Je sentais le vide dans mes poings et, au-dessus de ma tête, tout ce qui était infini, éternel, inaccessible, entourait l'arène d'un milliard de sourires indifférents à notre plus vieux combat.


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[...] elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n'ai jamais su où aller depuis.


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... Parfois je lève la tête et regarde mon frère l'Océan avec amitié : il feint l'infini, mais je sais que lui aussi se heurte à ses limites, et voilà pourquoi, sans doute, tout ce tumulte, tout ce fracas.

L' Art

Le mot Art ne désigne pas, mais prononce un jugement ; oui, on ne dit pas 'c'est de l'art' comme on dit 'c'est de l'eau'.




mercredi 6 juin 2007

Romain Gary, Nouvelles

Ounianga, c'était un petit fort sous un grand drapeau, un lac minuscule, des chameaux, de la bouse de chameau, des chameliers. La nuit il y avait les étoiles et les moustiques en plus. C'est de là qu'un matin trois Blenheim sont partis vers le Nord, au-dessus du 'plus terrible désert du monde' comme disent les journaux - et cela doit être vrai puisque aucun journaliste n'y est jamais allé.
Géographie humaine 





- Envoyez une patrouille à la recherche de Minôs. Il a dû ditcher quelque part dans Montparnasse. Pierrette est disponible?

- Il est suspendu de vol, mon colonel. Pour excès de vitesse. D'autre part Lucchi ...

- Qu'est-il arrivé à Lucchi ? hurlâmes-nous, prêts au pire.

- Cette fois il a été fait prisonnier!

Il y eut un silence, puis des hurlements, des jurons horribles et excités.

- Il est rentré dans une vitrine de magasin. Il n'a pas pu s'en empêcher. C'était une agence de tourisme : " Visitez l'Allemagne" . Il a été emmené au poste.

1943, Dix ans après ou la plus vieille histoire du monde




Boldini, Marthe Bibesco



En 1941, le Chari se jetait dans le lac Tchad. Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui. Le monde a tellement changé! Tant d'espoirs se sont évanouis, tant de rêves ont mordu la poussière, tant d'amis ont trahi, que rien n'est plus sûr : le monde lui-même a peut-être changé de figure. Mais en 1941, l'espoir était vivant, les rêves ardents et purs, on connaissait le nom de ses amis, et le Chari se jetait dans le lac Tchad.

Sergent Gnama



Elle supportait le climat à merveille, mieux que nous tous. Son plus grand chagrin eut pour cause la mort de son pékinois ; il avait essayé de jouer avec un serpent. Mais les serpents sont d'humeur plutôt acerbe et les plaisanteries, même les meilleures, sont perdues pour eux ; le pékinois paya de sa vie son besoin de société. On a dû interrompre les travaux pour permettre à tout le monde d'assister à l'enterrement. Ce fut un bel enterrement ! De tous les hommes que j'ai vus mourir sous le tropique, aucun n'avait eu un enterrement pareil.
Une petite femme



Boldini, Mrs Drexel

lundi 4 juin 2007

Romain Gary, Le Grec

Il ne restait jamais sur la même île plus d'un mois ou deux, juste le temps de se familiariser avec l'endroit, sans laisser aux gens du coin le temps de trop bien le connaître. Toutes les fois qu'un imbécile lui demandait " Tu fais quoi dans la vie, le môme ? ", il savait qu'il était temps de déguerpir, et sans traîner. C'est une drôle de question, d'ailleurs, tu fais quoi dans la vie ? Vous l'a-t-on, déjà posée ? C'est une question qui vous donne la réelle impression que le seul fait de vivre ne suffit pas ; elle met la vie en minorité, si l'on peut dire, elle la relègue au deuxième rang, comme si ce n'était pas assez d'être vivant, comme s'il fallait encore payer un attribut. [...] " Vous faites quoi dans la vie ? " Il approchait de la soixantaine et, avec sa tête emmanchée d'un long cou, il donnait toujours l'impression d'avoir perdu sa carapace de tortue. Ce qu'il y avait de plus remarquable chez lui, toutefois, c'était son sourire. Il avait quelque chose d'absolument éternel et de tous les hommes que Billy avait rencontrés, M. Dronner était le seul qui parût se composer exclusivement d'un sourire. Même quand il parlait, son sourire était inamovible et Billy, qui commençait désormais à s'y connaître passablement en matière d'archéologie, de sépultures royales et de Dieu, se disait souvent que ce même sourire sur les lèvres d'une statue aurait valu une véritable fortune. [...]Sa femme, veuve en premières noces d'un général allemand pendu pour la part qu'il avait prise à la tentative d'assassinat contre Hitler en 1944, avait une vingtaine d'années de moins que lui, mais elle aussi était tout à fait remarquable, à sa façon. Elle avait un visage d'une certaine beauté et, bien qu'elle fût sûrement quadragénaire, un coprs mince et musclé, plein de promesses. Le plus extrordinaire chez elle, c'était d'être parvenue à attraper le sourire de son mari, si bien qu'ils donnaient l'impression, tous les deux, de partager on ne sait quel secret infiniment satisfaisant, une espèce de savoir, l'impression d'être en contact personnel non seulement avec " le gratin de la bonne société ", mais avec les mystères intérieurs de la vie et de la mort.



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[...] La pension compte dix chambres et pour une raison que Glou-Glou n'a jamais été tout à fait capable d'expliquer, elle s'apelle le Poisson Orgueilleux. Sans doute ces mots proviennent-ils de quelque profonde incompréhension entre Anglais et Turcs, car la mosaïque bleue et ocre qui indique ce nom représente la tête de la Sainte Vierge et le tout est si déroutant qu'il en prendrait presque des allures de mystères et que si l'on s'interroge sur cette lacune dans l'histoire, on se demande pourquoi cet incident a été omis des Saintes Ecritures et qu'est-ce qui a bien pu se passer, bon Dieu, entre Marie et ce poisson. Mais il est bon d'avoir matière à réfléchir et d'être encore capable de se poser des questions.



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Les guides grecs ont une façon bien à eux de vous montrer un morceau de pierre de rien du tout comme si c'était tout ce qui restait du monde réel.


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[...] il y a plus de trois cents églises grecques orthodoxes sur l'île, et c'est l'heure à laquelle on les entend chanter, pas les églises, mais les Grecs à l'intérieur, et comme je vois les choses, quand un tout petit endroit comme ici a besoin de trois cents églises, c'est que tout ça vraiment n'est que de la rigolade. Si ça marchait bien , une seule église devrait suffire.



 
Chien jaune couché dans la neige, d'après Franz Marc

samedi 2 juin 2007

Boris Vian, Le Deserteur, extraits

Si c'était à refaire, recommenceriez - vous ? dit la chanson ; jamais on ne recommencerait, à moins d'être gâteux ou d'ignorer le goût de l'expérience.

Il subsiste encore sur 'notre terre' des individus dont la préoccupation majeure et les intérêts les plus affirmés sont de manger bien, de boire froid, de se divertir et de se reproduire.

Le génie est une longue patience, c'est une réflexion de génie pas doué.

La critique, art aisé, se doit d'être constructive.


Notre père qui êtes aux cieux, restez y ... et nous nous resterons sur la Terre qui est quelques fois ... si jolie. [...]

in Quand j'aurais du vent dans mon crâne, Boris Vian





Klimt Gustave, Frise Beethoven


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LE DÉSERTEUR



Monsieur le Président, Je vous fais une lettre, Que vous lirez peut-être, Si vous avez le temps. Je viens de recevoir, Mes papiers militaires, Pour partir à la guerre, Avant mercredi soir. Monsieur le Président, Je ne veux pas la faire, Je ne suis pas sur terre, Pour tuer des pauvres gens. C'est pas pour vous fâcher, Il faut que je vous dise, Ma décision est prise : Je m'en vais déserter. Depuis que je suis né, J'ai vu mourir mon père, J'ai vu partir mes frères, Et pleurer mes enfants. Ma mère a tant souffert, Qu 'elle est dedans sa tombe, Et se moque des bombes, Et se moque des vers. Quand j'étais prisonnier, On m'a volé ma femme, On m'a volé mon âme, Et tout mon cher passé. Demain de bon matin, Je fermerai ma porte, Au nez des années mortes, J'irai sur les chemins, Je mendierai ma vie, Sur les routes de France, De Bretagne en Provence, Et je dirai aux gens : Refusez d'obéir, Refusez de la faire, N'allez pas à la guerre! Refusez de partir! S'il faut donner son sang, Allez donner le vôtre. Vous êtes bon apôtre, Monsieur le Président. Si vous me poursuivez, Prévenez vos gendarmes, Que je n'aurai pas d'armes, Et qu'ils pourront tirer.


Boris Vian, Le Déserteur









Klimt Gustav, Le Baiser

vendredi 1 juin 2007

Romain Gary, Les Clowns Lyriques (bis)

Par la baie vitrée du Negresco, Willie Bauché regardait le soleil et la mer célébrer midi dans un équilibre parfait, avec la tranquille assurance d'un couple de danseirs illustres sur une scène de province? Bien enlevé, pensa-t-il, en observantla pose en connaisseur. Dans la clarté qui le baignait le visage d'Ann paraissait prêter sa lumière au jour plutôt que l'en recevoir et boulversait Willie d'une façon indigne de son cynisme notoire et de sa réputation soigneusement entretenue de salaud intégral.



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Elle avait une de ces voix qui exacpère toujours le désir de possession, parce qu'elles font pressentir une profondeur dont chacun se plaît à imaginer qu'il est le seul à pouvoir l'emplir.



Boldini, Gertrude Elisabeth


[...] Son père était un homme raffiné, incapable de se faire à l'Amérique, qui était son pays, et à la France, où il avait vécu une partie de sa vie et qui l'avait toujours fait souffrir cruellement parce qu'elle n'était jamais à la hauteur de sa francophilie.


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Willie était allé voir son futur beau-père peu de temps avant le mariage, une sorte de visite de courtoisie, au cours de laquelle il fut d'ailleur constamment question d'autre chose, Garentier regrettant amèrement les bassesses auxquelles étaient descendu l'art cinématographique, qui attachait selon lui, trop d'importance aux êtres de chair et de sang et pas assez au monde des formes.


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La solitude n'est pas de vivre seul, mais d'aimer seul : ne jamais rencontrer celle qui ne vous aimera jamais, voilà peut-être la définition la plus juste du bonheur humain. [...] Aimer passionnément une femme et sans en être aimé, voilà qui prouve que le destin est un pitre qui ne mérite pas autre chose qu'une tarte à la crème. Dans ses moments d'authenticité - il avait de ces défaillances - il arrivait même à Willie de penser que ce sera finalement dans une tarte à la crème que l'on retrouvera un jour, intacte, indélébile, l'empreinte de la figure humaine.



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Le communisme est une idée. Elle est très belle. On n'a pas le droit de juger une idée sur ce qu'elle devient quand elle se concrétise. Elle n'est pas faite pour ça. Une idée se casse toujours la gueule quand elle touche terre. Elle se couvre toujours de merde et de sang quand elle dégringole de la tête aux mains. Une idée de ne peut être jugée par aucun des crimes que l'on commet en son nom, elle ne saurait être trouvée dans aucun des modèles qu'elle inspire. Il y a une publicité dans le métro pour je ne sais quel produit : Je ris de me voir si belle dans ce miroir. Mais une idée ne peut se refléter dans aucun miroir. On n'a pas le droit de juger le communisme d'après son image telle que la reflète le miroir russe : on ne voit que Staline.



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Il y a un paragraphe, dans la Constitution américaine, qui parle du droit, pour chaque homme, de poursuivre son propre bonheur. Pursuit of happiness. Effrayant, ça, comme responsabilité! Une constitution écrasante et impitoyable : poursuite du bonheur, vous vous rendez compte? Pourquoi pas les travaux forcés à perpétuité, pendant que vous y êtes?



Giovanni Boldini


L'humour et la bouffonnerie n'ont jamais eu d'autre raison d'être que cette volonté d'amortir les chocs mais, poussées au-delà du minimum vital nécessaire, ils finissent par devenir une véritable danse sacrée d'écorché vif, et c'est ainsi que La Marne s'était peu à peu transfomé en un véritable derviche tourneur.



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La Marne - de son vrai nom qui sait - [...] avait des cils très longs et palpitants et des yeux de biche, bruns et doux, avec ce côté bon-à-toucher qu'il est plus agréable de rencontrer dans un gant de bonne qualité que dans le regard d'homme.





Jacques Brel, Mourir pour mourir


Mourir pour mourir, Le coeur appuyé sur les amis de toujours, mourir pour mourir, Je veux mourir de tendresse, Car mourir d'amour ce n'est mourir qu'à moitié, Je veux mourir ma vie avant qu'elle ne soit vieille, Entre le cul des filles, et le cul des bouteilles.


Jacques Brel

Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray



La beauté véritable se termine là où commence l'expression intellectuelle. L'intelligence est par elle-même une forme d'exagération, et détruit l'harmonie de n'importe quel visage. Dès l'instant où l'on s'assied pour penser, on n'est plus que nez, que front, bref, quelque chose d'horrible. Regardez tous ces hommes arrivés, au sein des professions savantes. Ils sont tous absolument hideux! À une exception près, bien entendu : l'Église. Mais c'est aussi que dans l'Église on ne pense pas. A l'âge de quatre-vingt ans, un évêque continue à dire ce qu'on lui a dit de dire quand il en avait dix-huit et, en conséquence, il paraît toujours absolument adorable. Votre jeune et mystérieux ami, dont le portrait réellement me fascine ne pense jamais. De cela je suis tout à fait certain. C'est un être sans cervelle, très beau, qui devrait toujours être là en hiver quand nous n'avons pas de fleurs à contempler, et toujours là en été, quand nous avons besoin de quelque chose pour rafraîchir notre intelligence.





L'harmonie de l'âme et du corps - comme cela est immense! Dans notre folie, nous les avons séparés l'un de l'autre, et avons inventé un réalisme vulgaire, une idéalité vide.



Les plus courageux d'entre nous ont peurs d'eux mêmes.


Il y a quelque chose de terriblement malsain dans la sympathie que notre époque porte à la souffrance. C'est pour la couleur, la beauté, les joies de la vie, qu'il faut avoir de la sympathie. Moins on parle des plaies de la vie, mieux cela vaut.


in Le Portrait de Dorian Gray de Oscar Wilde

Romain Gary, Les Clowns Lyriques

L' Humanité est heureusement ce qui nous reste quand il ne nous reste   p e r s o n n e .



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-"Ne brillez pas pour moi, Willie. Ce n'est pas la peine." Willie affecta un air vexé. -"Je brille pour moi-même, si vous n'y voyez pas d'inconvénients. Après tout, on ne se lave pas les dents pour les autres."




Franz Marc, Les renards



L'ensemble - main , briquet en or, ivoire et cigarette - formait une nature morte agréable à l'oeil.


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- "Tu sais, Jacques, une chose m'a toujours beaucoup frappée, depuis que j'ai lu pour la première fois La Cigale et la Fourmi ...

- Quoi donc? - C'est que beaucoup de temps s'est passé depuis, mais les cigales chantent toujours. Elles font en somme aux fourmis une réponse pleine de courage et de fierté : elles continuent à chanter. Quand j'étais enfant, cela m'est tout de suite apparu comme très important et d'autant plus significatif que les grandes personnes le passaient discrètement sous silence. Les cigales continuent à chanter, et c'est cela, la véritable morale de la fable."




Matisse, La leçon de piano




Ici, c'est un homme qui parle, un vide, un comique, une rage, un désespoir d'homme. Qui a connu la fraternité des causes justes et qui n'a rien connu, qui a connu les femmes et qui n'a rien connu, qui a connu l'amour maternel et qui n'a rien connu, mais qui t'a rencontrée enfin et qui a tout rencontré. Voici que s'emplit sous mes yeux la preuve du monde par deux. Et qu'il est drôle d'être un homme mûr qui reçoit enfin sa première leçon de choses, la révélation d'une main de femme, d'une démarche de femme, de ses pieds qui donnent quelque chose à la terre chaque fois qu'ils la touchent, et le miracle de ses bras le long du corps - quelle idée merveilleuse de les avoir mis là! Tout enfin est pour la première fois. Et hier soir, à la fenêtre, qui donc aurait cru que la nuit méditerranéenne pouvait être ainsi cueillie au creux de ta main à chaque baiser, avec toute sa douceur? Ici finit ma vie errante. Viens plus près. Oui, je sais que tu ne peux pas : viens plus près quand même. Encore plus près ... Là. Ça ne fait rien : on respirera après. Comme ça. Jacques ... Ne m'appelle pas. Ne dis pas mon nom : on croirait que nous sommes   d e u x .


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Ma mère disait en 40 : bientôt, la France sera une histoire sans Français, des vignes et c'est tout. Mon père était un idéaliste, du genre humanitaire, imprécis et inspiré. Avant ça faisait les premiers   s o c i a l i s t e s , aujourd'hui, ça fait les derniers     a r i s t o c r a t e s .