vendredi 8 juin 2007

Romain Gary, La Promesse de l'aube

[...] je dois dire que, dans cet univers entièrement louable qu'était pour ma mère la France, tout était uni dans la même approbation et, mettant tranquillement dans le même panier la tête de Marie-Antoinette et celle de Robespierre, Charlotte Corday et Marat, Napoléon et le duc d'Enghien, elle me présentait le tout avec un sourire heureux. Je mis longtemps a me débarrasser de ces images d'Epinal et à choisir entre les cent visages de la France celui qui me paraissait le plus digne d'être aimé; ce refus de discriminer, cette absence, chez moi, de haine, de colère, de rancune, de souvenir, ont pendant longtemps été ce qu'il y avait en moi de plus typiquement non français.


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[...]L'humour a été pour moi, tout le long du chemin, un fraternel compagnonnage; je lui doit mes seuls instants véritables de triomphe sur l'adversité. Personne n'est jamais parvenu à m'arracher cette arme, et je la retourne d'autant plus volontiers contre moi-même, qu'à travers le "je" et le "moi", c'est à notre condition profonde que j'en ai. L'humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive. Certains de mes "amis", qui en sont totalement dépourvus, s'attristent de me voir, dans mes écrits, tourner contre moi-même cette arme essentielle; ils parlent, ces renseignés, de masochisme, de haine de soi-même, ou même, lorsque je mêle à ces jeux libérateurs ceux qui me sont proches, d'exhibitionnisme et de muflerie. Je les plains. La 
réalité est que "je" n'existe pas, que le "moi" n'est jamais visé, mais seulement franchi, lorsque je tourne contre lui mon arme préférée; c'est à la situation humaine que je m'en prends, à travers toutes ces incarnations éphémères, c'est à une condition qui nous fut imposée de l'extérieur, à une loi qui nous fut dictée par les forces obscures comme une quelconque loi de Nuremberg. Dans les rapports humains, ce malentendu fut pour moi une source constante de solitude, car, rien ne vous isole plus que de tendre la main fraternelle de l'humour à ceux qui, à cet égard, sont plus manchots que les pingouins.




Autoportrait




[durant 39-45]...Je demeurai un moment encore sur le pont, essayant de me calmer, ou peut-être cherchant l'adversaire. Mais l'adversaire ne se montrait pas. Il n'y avait que des Allemands. Je sentais le vide dans mes poings et, au-dessus de ma tête, tout ce qui était infini, éternel, inaccessible, entourait l'arène d'un milliard de sourires indifférents à notre plus vieux combat.


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[...] elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n'ai jamais su où aller depuis.


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... Parfois je lève la tête et regarde mon frère l'Océan avec amitié : il feint l'infini, mais je sais que lui aussi se heurte à ses limites, et voilà pourquoi, sans doute, tout ce tumulte, tout ce fracas.

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