
samedi 24 novembre 2007
Eric-Emmanuel Schmitt, Ma Vie avec Mozart

dimanche 23 septembre 2007
Raymond Queneau, Exercices de styles

mardi 28 août 2007
Romain Gary, Adieu Gary Cooper
- Tu peux pas comprendre ce que c'est, d'avoir des gosses qui sont pas de toi. T'en as jamais eu. - Hein? Quoi? Mais le monde en est plein, de gosses qui sont pas de moi !
Elle resta là encore un moment, essayant de se perdre de vue, mais il fallait bien se rendre à l'évidence : il y a des moments où ni la révolte des Noirs américains ni le Vietnam ne peuvent rien pour vous et ne vous aident guère à vous débarasser de vous-même. En dépit de tous les assauts idéologiques, le maudit petit Royaume du Je tient bon et ne vous permet pas de vous réfugier hors de ses limites dans le grand néant de la souffrance des autres. Même un cataclysme qui engloutirait la moitié de l'humanité laisserait encore votre Je intact et insupportable, avec son petit croissant et son café au lait. Et en même temps le Je éait proscrit, défendu, nié. Il n'y avait plus un livre sérieux qui osât parler des sentiments autrement que comme de "sentimentalisme", les poèmes d'amour, ce n'était même plus pensable, ce serait un crime contre la poésie, contre l' "intellect" et la "souffrance du monde", on ne devait s'émouvoir qu' à l'échelle planétaire, les "masses" étaient devenues un culte de la dépersonnalité, les mots "coeur" et "âme", cela faisait demeuré ou Dame de chez Maxim, l'individu n'était autorisé que dans "sale individu", les hommes attachaient une telle importance à la virilité que les femmes n'étaient plus admises, la vie personnelle était considérée comme une espèce de masturbation, les femmes étaient devenues des êtres humains à part entière , c'est-à-dire déshumanisées, les rapports humains n'étaient plus que des frottements démographiques, tous les "vrais" problèmes se chiffraient par millions, à partir d'une classe, d'une race, d'une nation. Le cataclysme démographique faisait penser les naissances en terme de mort, le Moi était devenu une insulte au peuple et n'avait droit qu'à son autocritique, le "peuple" était devenu le seul prêt-à-porter qui ne se démodait pas, comme un tailleur de chez Chanel, et que seul le peuple ne portait pas, et la plus grande force spirituelle après vingt révolutions continuait à être la Bêtise, avec cette différence qu'elle avait pris, elle aussi, comme tout le reste, des proportions à l'échelle cosmique. Briser la loi, n'importe quelle loi, était la seule protestation possible. Avouer que la seule chose qui comptait pour vous c'était cette espèce de chat sauvage aux yeux incroyables qu'il fallait empêcher de s'évader vers des prairies de neige et ses Mongolies extérieures, c'était signer son décret de monstruosité aux yeux des nouveaux bien-pensants. Vous n'étiez plus qu'une absurde fleur séchée glissée entre les pages de Das Kapital ou de Sept leçons de psychanalyse. Ont-ils vraiment réussi à faire de nous un pritemps silencieux, un printemps de vingt ans, mais sans un chant d'amour, sans un battement de coeur, un génocide qui vous permet de vivre à condition d'être deux milliards ? Des générations de jeunes avaient lutté contre la notion de péché et ses miasmes de culpabilité, et voilà que les nouveaux bien-pensants vous infectaient à leur tour par les bondieuseries d'un nouveau sacré et veillaient jalousement sur votre conscience sociale et votre vertu. Et vous n'aviez même pas le droit de poser le problème : il n'était qu'un déchirement exquis de votre "conscience de classe". Comment se déculpabiliser ? Comment "désacraliser" le monde, les classes, les races, le peuple, sans être aussitôt accusée d'égoïsme, de réaction, de fascisme ? Fallait-il faire comme Alain Rossay, qui avait lu dans la vitrine de Secours catholique la phrase pieuse : "N'oubliez pas que tout homme rassasié a un frère qui meurt de faim dans le monde", et qui l'avait aussitôt remplacé par : "Rappelez-vous que tout homme qui meurt de faim a un frère rassasié dans le monde" ? Fascisme, anarchie bourgeoise ou hygiène psychique ? Ce n'est ni Dieu ni le prolétariat qui sont en cause, c'est le sacré. Allons-nous trembler à nouveau, comme pendant mille ans, devant le blasphème ? N'y a-t-il plus d'autre "moi" toléré que celui du salaud intégral ? Le seul Je toléré était celui qui était comme les pissotières, d'utilité publique.

Cet été, il été revenu de Zurich avec un paumé qui avait publié deux livres de poèmes et avait un de ces billets de chemin de fer qui vous permettent d'aller n'importe où en Europe, autant de fois que vous le voulez, si vous avez payé en dollars. Le type était devenu complètement dingue à force de changer de train, il voulait en avoir pour son argent. Il ne pouvait plus s'arrêter. Si Bug ne l'avait pas rencontré dans la pissotière de la gare de Zurich, qu'il fréquentait régulièrement, le gars serait remonté dans un train, et il aurait continué, et à la fin, il aurait fallu l'abattre à coups de révolver. Il était affolé à l'idée que son billet n'en avait plus que pour quelques semaines, il était en train d'avoir une crise d'hystérie, et Bug avait dû l'assommer à moitié pour l'empêcher de remonter dans l'express Zurich-Venise , qu'il avait déjà pris quatorze fois. Bug l'avait ramené au chalet, et au début, on avait dû l'attacher, il hurlait qu'il allait manquer son train, et que le billet expirait fin août.
[...]
Ce qu'il y avait d'embêtant, c'est qu'ils avaient tous quelque chose de pathétique. On opuvait pas les détester vraiment. L'humanité, elle vous aisait penser à Al Capone, qui courait après tous les trains parce qu'il avait un billet pour nulle part, et il sautait d'un train dans l'autre, pour tirer un maximum du billet qu'il avait payé, et puis, l'humanité se retrouvait dans la pissotière de la gare de Zurich, en se croyant au Danemark. Une paumée. Un jour, on allait retrouver dans la pissotière de la gare de Zurich Mao ou de Gaulle, avec leur billet demi-tarif pour nulle part dans la poche, en train d'attendre un nouveau rapide, celui qui n'avait pas encore déraillé.
- Qui te paye la clinique ?
- Des Autrichiens d'ici. Il paraît que je leur avais donné des leçons à Kitzbühel, quand ils étaient gosses. Je m'en souviens pas. Les riches sont parfois rigolos. La philantropie, quoi.
- Qu'est ce que c'est que ça, encore ?
- C'est des riches qui veulent se sentir bien.
**
" Trudi, je vais t'expliquer ça. Lorsqu'un gars et une fille se collent ensemble pour de bon, ils finissent par avoir une voiture, une maison, des enfants, un boulot, et ça, ça ne s'appelle plus l'amour, Trudi, ça s'appelle vivre."
**
" A moi de jouer. Quel genre de travail? " Contrebande d'or et de devises de France en Suisse. Ils ont en France quelque chose qui s'appelle le contrôle des changes, et la fuite des capitaux. Les capitaux sont très cartésiens. Je pense, donc je fuis.
Pieta, Van Gogh
" Excusez-moi, je connais pas très bien votre langue.
- On vous parle anglais, non ?
- Oui, monsieur, bien sur. Mais les mots, vous savez, ça me vient pas facilement, c'est pas à moi, les mots. On s'entend pas bien et on s'évite, eux et moi.
- C'est commode.
-Ah, ça oui, vous pouvez le dire, monsieur. C'est très commode. Ca peut même vous sauver la vie. "
Bug disait : " Prenez un mot comme patriotisme . Le gars qui sait pas ce que c'est, il a neuf chance sur dix de passer au travers. "
" Et vous pensez avec quoi, alors ?
- J'essaye de ne pas penser, monsieur. Mais il m'arrive de méditer.
- Parce que ce n'est pas la même chose ?
- Pas vraiment, monsieur. La méditation, c'est pour penser à rien. On est heureux. "
samedi 28 juillet 2007
Macha Makeïett, "L'Amour des choses" exposition au Théâtre national de Chaillot
mardi 24 juillet 2007
Boris Vian, Petits Spectacles
DECOR : Bois, rivière méandreuse, petite baraque où l'on vend des souvenirs et notamment des Tours Eiffel en bronze rouge "Au Souvenir de Lusteski". une vendeuse y est installée. Entrerons les druides.
1er DRUIDE
2eme DRUIDE
Y a-t-il des chênes dans le coin?
1er DRUIDE
VENDEUSE
Des chênes? Pourquoi faire, d'abord?
2eme DRUIDE
Eh ben... heu... C'est pour le gui, quoi...
VENDEUSE
Le gui? Kekçekça?
1er DRUIDE
Notre matière première. On est druides.
VENDEUSE
Vous vous moquez de moi?
2eme DRUIDE
On n'oserait pas.
VENDEUSE
1er DRUIDE
2eme DRUIDE
Et on cri "Au gui l'an neuf".
VENDEUSE
Et ça vous amuse! (Elle les regarde avec le plus profond mépris.) Vous avez du temps à perdre pour vos distractions bourgeoises. (Elle se reprend, ça lui échappe.) Pardon!
1er DRUIDE
Bourgeoises?
2eme DRUIDE
Nos distractions bourgeoises?
1er DRUIDE
Kharacho! Et avec quoi crois-tu qu'on le coupe, le gui, petite mère?
2eme DRUIDE (brandit une faucille)
Est-ce que ça a l'air d'un instrument bourgeois, ça?
VENDEUSE
Le signe de reconnaissance! Excusez-moi, camarades, j'ai parlé trop vite! (Elle montre un marteau). Voilà le signe!
1er DRUIDE
Ah! Je pensais bien que c'était toi, Nastasia Ivanovna. Bois un coup de vodka avec nous, babouchka. (Ils l'embrassent.)
VENDEUSE
Je ne peux pas, camarades, ça va faire baisser mon rendement.
2eme DRUIDE (avec respect)
Tu es stakhanoviste?
VENDEUSE
1er DRUIDE (baisse la voix)
Écoute... Il n'y a personne?
VENDEUSE
Non...
1er DRUIDE
Alors je peux retirer cette défroque capitaliste... (Il la retire et apparaît en tenue de russe avec étoiles et bottes et marteau.) Sergueï Pariskoff, de l'armée secrète du travail de la Sainte Russie...
2eme DRUIDE (même jeu)
1er DRUIDE
On s'est camouflés en druides, pour circuler sans encombre parmi les Gaulois avec nos faucilles...
VENDEUSE
C'était inutile... J'ai déjà noyauté le coin... On peut travailler.

C'est bien, Nastasia. Le génial Pères des Peuples sera content de toi. (Il examine l'étalage et regarde une tour Eiffel peinte en rouge.) Qu'est-ce que c'est que ça, camarade?
VENDEUSE
Les Gaulois adorent ça... C'est une statuette magique que j'ai inventée. Ils les préféraient dorées, mais maintenant je les peins en rouge. Mais que puis-je faire pour vous?
As-tu convoqué l'huissier?
VENDEUSE
Il doit arriver (elle regarde son sablier) dans cent grammes de sable.
1er DRUIDE
2eme DRUIDE
Oui, Sergueï (Il la lui tend.)
1er DRUIDE
La truelle?
vendredi 6 juillet 2007
Abbé Dinouart, L' Art de se taire
Canova, Le Baiser

Il est un silence prudent, et un silence artificieux. Un silence complaisant, et un silence moqueur. Un silence spirituel, et un silence stupide. Un silence d'approbation, et un silence de mépris. Un silence de politique. Un silence d'humeur et de caprice.
mercredi 27 juin 2007
Martin Niemöller, poème

They first came for the Communists, and I didn't speak up because I wasn't a Communist.
Then they came for the Jews, and I didn't speak up because I wasn't a Jews.
Then they came for the trade unionists, and I didn't speak up because I wasn't a trade unionists.
Then they came for the Catholics, and I didn't speak up because I was a Protestant.
Then they came for me and by that time no one was left to speak up.
mardi 26 juin 2007
mardi 12 juin 2007
Anna Gavalda, Je l'aimais
Comme au téléphone : "Excusez-moi, c'est une erreur."
Mais je vous en prie ...
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Le soir, je suis allé dîner au Drugstore. Je souffrais. [...] Je me souviens que j'avais dessiner deux silhouettes sur la nappe en papier. La silhouette de gauche, c'était elle de face et celle de droite, elle de dos. Je cherchais à me souvenir de l'emplacement exact de ces grains de beauté et quand le garçon s'est approché et qu'il a vu tous ces petits points, il m'a demandé si j'étais acuponcteur.
Anna Gavalda, Je l'aimais
vendredi 8 juin 2007
Romain Gary, La Promesse de l'aube
[...]L'humour a été pour moi, tout le long du chemin, un fraternel compagnonnage; je lui doit mes seuls instants véritables de triomphe sur l'adversité. Personne n'est jamais parvenu à m'arracher cette arme, et je la retourne d'autant plus volontiers contre moi-même, qu'à travers le "je" et le "moi", c'est à notre condition profonde que j'en ai. L'humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive. Certains de mes "amis", qui en sont totalement dépourvus, s'attristent de me voir, dans mes écrits, tourner contre moi-même cette arme essentielle; ils parlent, ces renseignés, de masochisme, de haine de soi-même, ou même, lorsque je mêle à ces jeux libérateurs ceux qui me sont proches, d'exhibitionnisme et de muflerie. Je les plains. La

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[...] elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n'ai jamais su où aller depuis.
L' Art

mercredi 6 juin 2007
Romain Gary, Nouvelles

En 1941, le Chari se jetait dans le lac Tchad. Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui. Le monde a tellement changé! Tant d'espoirs se sont évanouis, tant de rêves ont mordu la poussière, tant d'amis ont trahi, que rien n'est plus sûr : le monde lui-même a peut-être changé de figure. Mais en 1941, l'espoir était vivant, les rêves ardents et purs, on connaissait le nom de ses amis, et le Chari se jetait dans le lac Tchad.
Sergent Gnama
Elle supportait le climat à merveille, mieux que nous tous. Son plus grand chagrin eut pour cause la mort de son pékinois ; il avait essayé de jouer avec un serpent. Mais les serpents sont d'humeur plutôt acerbe et les plaisanteries, même les meilleures, sont perdues pour eux ; le pékinois paya de sa vie son besoin de société. On a dû interrompre les travaux pour permettre à tout le monde d'assister à l'enterrement. Ce fut un bel enterrement ! De tous les hommes que j'ai vus mourir sous le tropique, aucun n'avait eu un enterrement pareil.

lundi 4 juin 2007
Romain Gary, Le Grec
Les guides grecs ont une façon bien à eux de vous montrer un morceau de pierre de rien du tout comme si c'était tout ce qui restait du monde réel.
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[...] il y a plus de trois cents églises grecques orthodoxes sur l'île, et c'est l'heure à laquelle on les entend chanter, pas les églises, mais les Grecs à l'intérieur, et comme je vois les choses, quand un tout petit endroit comme ici a besoin de trois cents églises, c'est que tout ça vraiment n'est que de la rigolade. Si ça marchait bien , une seule église devrait suffire.

samedi 2 juin 2007
Boris Vian, Le Deserteur, extraits
Il subsiste encore sur 'notre terre' des individus dont la préoccupation majeure et les intérêts les plus affirmés sont de manger bien, de boire froid, de se divertir et de se reproduire.
Le génie est une longue patience, c'est une réflexion de génie pas doué.
La critique, art aisé, se doit d'être constructive.
Notre père qui êtes aux cieux, restez y ... et nous nous resterons sur la Terre qui est quelques fois ... si jolie. [...]

LE DÉSERTEUR
Monsieur le Président, Je vous fais une lettre, Que vous lirez peut-être, Si vous avez le temps. Je viens de recevoir, Mes papiers militaires, Pour partir à la guerre, Avant mercredi soir. Monsieur le Président, Je ne veux pas la faire, Je ne suis pas sur terre, Pour tuer des pauvres gens. C'est pas pour vous fâcher, Il faut que je vous dise, Ma décision est prise : Je m'en vais déserter. Depuis que je suis né, J'ai vu mourir mon père, J'ai vu partir mes frères, Et pleurer mes enfants. Ma mère a tant souffert, Qu 'elle est dedans sa tombe, Et se moque des bombes, Et se moque des vers. Quand j'étais prisonnier, On m'a volé ma femme, On m'a volé mon âme, Et tout mon cher passé. Demain de bon matin, Je fermerai ma porte, Au nez des années mortes, J'irai sur les chemins, Je mendierai ma vie, Sur les routes de France, De Bretagne en Provence, Et je dirai aux gens : Refusez d'obéir, Refusez de la faire, N'allez pas à la guerre! Refusez de partir! S'il faut donner son sang, Allez donner le vôtre. Vous êtes bon apôtre, Monsieur le Président. Si vous me poursuivez, Prévenez vos gendarmes, Que je n'aurai pas d'armes, Et qu'ils pourront tirer.

Boris Vian, Le Déserteur
vendredi 1 juin 2007
Romain Gary, Les Clowns Lyriques (bis)
Par la baie vitrée du Negresco, Willie Bauché regardait le soleil et la mer célébrer midi dans un équilibre parfait, avec la tranquille assurance d'un couple de danseirs illustres sur une scène de province? Bien enlevé, pensa-t-il, en observantla pose en connaisseur. Dans la clarté qui le baignait le visage d'Ann paraissait prêter sa lumière au jour plutôt que l'en recevoir et boulversait Willie d'une façon indigne de son cynisme notoire et de sa réputation soigneusement entretenue de salaud intégral.
Elle avait une de ces voix qui exacpère toujours le désir de possession, parce qu'elles font pressentir une profondeur dont chacun se plaît à imaginer qu'il est le seul à pouvoir l'emplir.

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Willie était allé voir son futur beau-père peu de temps avant le mariage, une sorte de visite de courtoisie, au cours de laquelle il fut d'ailleur constamment question d'autre chose, Garentier regrettant amèrement les bassesses auxquelles étaient descendu l'art cinématographique, qui attachait selon lui, trop d'importance aux êtres de chair et de sang et pas assez au monde des formes.
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La solitude n'est pas de vivre seul, mais d'aimer seul : ne jamais rencontrer celle qui ne vous aimera jamais, voilà peut-être la définition la plus juste du bonheur humain. [...] Aimer passionnément une femme et sans en être aimé, voilà qui prouve que le destin est un pitre qui ne mérite pas autre chose qu'une tarte à la crème. Dans ses moments d'authenticité - il avait de ces défaillances - il arrivait même à Willie de penser que ce sera finalement dans une tarte à la crème que l'on retrouvera un jour, intacte, indélébile, l'empreinte de la figure humaine.
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Le communisme est une idée. Elle est très belle. On n'a pas le droit de juger une idée sur ce qu'elle devient quand elle se concrétise. Elle n'est pas faite pour ça. Une idée se casse toujours la gueule quand elle touche terre. Elle se couvre toujours de merde et de sang quand elle dégringole de la tête aux mains. Une idée de ne peut être jugée par aucun des crimes que l'on commet en son nom, elle ne saurait être trouvée dans aucun des modèles qu'elle inspire. Il y a une publicité dans le métro pour je ne sais quel produit : Je ris de me voir si belle dans ce miroir. Mais une idée ne peut se refléter dans aucun miroir. On n'a pas le droit de juger le communisme d'après son image telle que la reflète le miroir russe : on ne voit que Staline.
Il y a un paragraphe, dans la Constitution américaine, qui parle du droit, pour chaque homme, de poursuivre son propre bonheur. Pursuit of happiness. Effrayant, ça, comme responsabilité! Une constitution écrasante et impitoyable : poursuite du bonheur, vous vous rendez compte? Pourquoi pas les travaux forcés à perpétuité, pendant que vous y êtes?

L'humour et la bouffonnerie n'ont jamais eu d'autre raison d'être que cette volonté d'amortir les chocs mais, poussées au-delà du minimum vital nécessaire, ils finissent par devenir une véritable danse sacrée d'écorché vif, et c'est ainsi que La Marne s'était peu à peu transfomé en un véritable derviche tourneur.
La Marne - de son vrai nom qui sait - [...] avait des cils très longs et palpitants et des yeux de biche, bruns et doux, avec ce côté bon-à-toucher qu'il est plus agréable de rencontrer dans un gant de bonne qualité que dans le regard d'homme.